"Je braquai la caméra sur ma barbe. Elle lécha mes joues, se frotta à la paupière de mon œil droit. Le travelling ébauchait les frontières entre les formes achevées et les débris, passait du haut vers le bas, de la saleté à la ligne pure. L’espace n’était jamais immobile. Dans l’obscurité, la ligne faisait bouger la pierre ovale couchée dans mon atelier. Filmer était une forme d’errance.
« La sculpture, il faut la laisser aux fous et aux femmes qui veulent en payer le prix », avait dit Camille dans l’atelier de Rodin.
La caméra creusait le sillon vers une rivière obscure. Les images coulaient à l’intérieur de sa boîte. Depuis ma première sculpture, j’apprenais à explorer le bras du fleuve caché dans chaque pierre. Dès qu’un nouveau bloc arrivait dans l’atelier, je cherchais les traces de pluie et de neige, les minuscules fêlures comme des narines par lesquelles le fleuve respirait. L’érosion était plus forte que la résistance du granit. Tailler et percer sans tenir compte de cette force n’avait aucun sens. Rodin le savait autant que moi. Il redoutait l’instant où la sculpture commençait à prendre forme. Pendant la nuit, le fleuve la fissurait, la faisait éclater. Le lendemain, il fallait tout recommencer. L’eau obscure érodait la chair et les os jusqu’à les rendre poussière." Texte de Maria Maïlat
CONSTANTIN Brancusi
de Maria Maïlat
traduit en espagnol par Natalia La Valle (Argentine)
avec les œuvres d’Eva Largo
a été imprimé à 150 exemplaires
signés et numérotés de 1 à 150
sur papier Oline 120 gr.
et Inuit 300 gr. pour la couverture.
Conception et mise en page par Eva Largo.
Achevé d’imprimer en mars 2013, à Paris,
par l’Imprimerie Launay.
© Les Editions Transignum
Paris